"Construire l'avenir que nous voulons." Interview de Jeffrey Sachs
Éradiquer la pauvreté et les famines, garantir un accès à l’eau potable, mettre en œuvre l’égalité des genres, fournir une énergie propre et économiquement abordable… les Nations Unies se sont fixé en septembre 2015 dix-sept objectifs de développement durable (ODD). L’atteinte de ces ODD se situe au cœur de la mission du SDSN (Sustainable Development Solutions Network), un think tank international qui, sous l’égide des Nations Unies, mobilise l’expertise scientifique et technologique afin de promouvoir des solutions pratiques.
, conseiller spécial du Secrétaire Général des Nations Unies et directeur du SDSN, donne une conférence le 21 juin à l’Ծé PSL, sur Le Rôle de la France et des universités françaises pour l'atteinte des Objectifs du Développement Durable. Il a accepté à cette occasion de répondre à quelques-unes de nos questions.
PSL : En juin 2017, suite à l’annonce par Donald Trump du retrait des États-Unis des Accords de Paris, le président français Emmanuel Macron lançait Make our planet great again appelant chercheurs, enseignants, entrepreneurs et étudiants mobilisés par la protection du climat à venir poursuivre leurs activités en France. Quel est le rôle de la recherche dans la lutte contre le réchauffement climatique ? Et quelle est la place des universités et organismes de recherche français dans cette action ?
À l’heure où l’administration Trump déclare la guerre aux climatologues américains, la France démontre que nous avons un pressant besoin de recherche et d’ingénierie dans ce domaine.
Jeffrey Sachs : L’appel du président Macron à un renforcement de la recherche sur le climat en France et en Europe est parfaitement justifié. À l’heure où l’administration Trump déclare la guerre aux climatologues américains, la France démontre que nous avons un pressant besoin de recherche et d’ingénierie dans ce domaine. Il s’agit d’une démarche positive, à la fois pour la planète et pour l’économie, dans laquelle la maîtrise des technologies du XXIe siècle sera indispensable. Clairement irresponsable, la position de Trump va en outre à l’encontre de l’opinion dominante dans la population américaine. Toutefois, et en dépit des efforts incessants des scientifiques, le puissant lobby américain du gaz et du pétrole soutient les pires instincts de Trump (qui sont vraiment néfastes).
PSL : Les dix-sept Objectifs de Développement Durable fixent un cadre pour des actions visant à endiguer la pauvreté et à favoriser le développement des économies, la promotion de la paix et la protection de l’environnement. Pour y parvenir, la SDSN mobilise experts scientifiques et techniques internationaux pour proposer des solutions pratiques. Les nouvelles générations, et en particulier les étudiants des grandes universités mondiales, peuvent-ils participer à ces actions ? Et quels sont, selon vous, les grands chantiers prioritaires ?
Les universités ont un rôle crucial à jouer en soutenant la recherche scientifique et technologique pour le bien de tous, à une époque où certaines idéologies les rejettent.
Le rôle des universités est vital pour le développement durable et la réalisation des ODD. Les seules solutions viables pour l’avenir sont celles que peuvent apporter la science et la technologie, et non le nationalisme, le négationnisme ou la superstition. Les universités ont un rôle crucial à jouer en soutenant la recherche scientifique et technologique pour le bien de tous, à une époque où certaines idéologies les rejettent. En outre, trop de connaissances scientifiques sont mobilisées par les intérêts de puissantes entreprises (notamment les sociétés américaines de haute technologie) et les objectifs militaires. Nous avons donc besoin d’une nouvelle génération de dirigeants, qui donneront la priorité à la résolution des problèmes, mais aussi de l’idéalisme d’une grande partie de la jeunesse et d’une analyse rigoureuse de la voie à suivre pour concrétiser nos ambitions : éradiquer la pauvreté, promouvoir l’inclusion sociale et mettre un terme aux catastrophes écologiques, notamment au changement climatique, à la perte de la biodiversité et à la pollution massive de l’air et de l’eau.
PSL : Les étudiants sont nombreux à souhaiter donner un « sens » à leurs activités. Ils s’engagent, en plus de leur cursus, dans des associations citoyennes et solidaires, ou développent des start-ups engagées (lutte contre le gaspillage alimentaire, fabrication de produits locaux avec le #MadeInFrance). En tant qu’enseignant et personnalité engagée, quel regard portez-vous sur cette tendance ? Auriez-vous un conseil à adresser à ceux qui s’interrogent sur la possibilité de maintenir cet engagement au cœur de leur vie professionnelle ?
Si nous ne parvenons pas à endiguer la pauvreté ni à sauver le climat, c'est parce que les systèmes politiques, économiques et sociaux sont guidés par la cupidité et l’impunité et non par le bien commun.
Les ODD représentent non seulement un défi technique, mais aussi une cause morale. Si nous ne parvenons pas à endiguer la pauvreté ni à sauver le climat, ce n’est pas parce que ces objectifs sont inaccessibles, mais parce que les systèmes politiques, économiques et sociaux sont guidés par la cupidité et l’impunité et non par le bien commun. C’est précisément ce que souligne inlassablement et à juste titre le Pape François dans chacune de ses déclarations. Il qualifie le défi auquel nous sommes confrontés aujourd’hui de “mondialisation de l’indifférence”. Nous devons combattre le narcissisme de Donald Trump et les tendances dangereuses au nationalisme extrême que ses partisans et lui-même représentent. Il nous faut à tout prix rester concentrés sur le bien de tous et sur l’utilisation de la science, de la technologie et de l’éthique pour construire “l’avenir que nous voulons”.
Conférence :
Le rôle de la France et des universités françaises pour l'atteinte des ODD
Le 21 juin 2018 à Chimie ParisTech (Amphithéâtre Friedel)
11 rue Pierre et Marie Curie 75005 Paris