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« Il faut encourager et aider les jeunes femmes scientifiques à se lancer ! »

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Le 1er octobre, l’université a célébré la nouvelle promotion de jeunes doctorantes et post-doctorantes PSL lauréates des prix « jeunes talents France » L'Oréal-UNESCO. Ces prix participent d’une dynamique internationale pour accroître la représentation des femmes scientifiques à toutes les échelles et dans toutes les disciplines. Fabienne Casoli (présidente de l’Observatoire de Paris – PSL), Anne Christophe (directrice adjointe sciences de l'ENS - PSL), Geneviève Almouzni (directrice de recherche CNRS à l’Institut Curie) et Annie Colin (directrice adjointe de l’Institut Pierre-Gilles de Gennes), toutes les quatres chercheuses « role models », livrent dans une interview leurs constats et leurs propositions pour l’évolution de la place des femmes dans la science. 

4 chercheuses rôle modèle de l'±«²Ô¾±±¹±ð°ù²õ¾±³Ùé PSL
  • Fabienne Casoli,
  • Anne Christophe,
  • Geneviève Almouzni,
  • Annie Colin,

PSL  : Cette année dix jeunes doctorantes et post-doctorantes des laboratoires de l’±«²Ô¾±±¹±ð°ù²õ¾±³Ùé PSL sont lauréates de la bourse L’Oréal-UNESCO du programme « Pour les Femmes et la Science ». A ce titre, elles bénéficieront d’une formation complémentaire à leurs parcours scientifiques pour « briser le plafond de verre ». Pourriez-vous évoquer en quelques mots ce que représente cette initiative pour vous  ? Encouragez-vous, par exemple, les jeunes scientifiques de vos laboratoires à concourir  ?

Ce programme contribue à créer des réseaux de femmes scientifiques ; c’est un des éléments importants pour briser le « plafond de verre Â»

Fabienne Casoli : Le est très intéressant par la visibilité qu’il donne aux lauréates, l’effet de modèle induit auprès des jeunes chercheuses, ainsi que la formation complémentaire qui est proposée. J’ai bien sûr relayé l’appel à candidatures aux laboratoires en les encourageant vivement à proposer des candidates et je compte bien continuer à l’avenir.

Anne Christophe : Ces prix sont effectivement une excellente initiative, et j’encourage également les jeunes scientifiques de l’ENS - PSL à déposer leurs dossiers. Elles ont toutes les raisons de candidater : gagner la bourse est un atout sur leur CV ; la formation est d’excellente qualité, et permet en outre aux jeunes scientifiques qui la suivent de construire un réseau d’entraide ; enfin, les lauréates du prix s’engagent à intervenir dans les lycées pour présenter les carrières scientifiques à des lycéennes, et ainsi combattre le stéréotype selon lequel les femmes ne sont pas censées être douées pour les sciences. Mon seul regret est que le découpage en catégories scientifiques très précises, parfois trop, ne couvre pas tout à fait l’ensemble des disciplines scientifiques. J’ai la sensation qu’il risque ainsi de décourager certaines candidates de se présenter, ce qui serait dommage. 

Geneviève Almouzni : Je partage votre enthousiasme pour cette belle initiative qui permet de mettre en lumière le parcours de jeunes femmes talentueuses lors d’une compétition à l’abri de tout biais liés au genre. On ne peut ainsi que se réjouir du succès des dix jeunes doctorantes et post-doctorantes des laboratoires de l’±«²Ô¾±±¹±ð°ù²õ¾±³Ùé PSL. Comme vous le soulignez, les opportunités offertes par ces bourses sont nombreuses et dépassent la simple dotation financière. Les formations complémentaires conçues pour permettre aux lauréates de gagner en confiance, prendre des rôles moteurs et s’affirmer, sont assez originales. Je crois me rappeler qu’il y a eu un atelier de travail avec des chevaux qui m’avait interpellée pour développer le « leadership ».

Annie Colin : J’encourage également les thésardes de mon groupe à candidater à ces prix. De façon générale, j’ai souvent remarqué qu’il était nécessaire d’inciter les jeunes femmes à se porter candidates, alors même que les jeunes hommes que j’encadrais adoraient concourir aux différents prix de thèse, ou à des challenges comme « Ma Thèse en 180’s Â». Une formation pour gérer les relations dans le monde du travail ne peut être qu’une bonne initiative. De façon générale comprendre les rouages et les codes d’une société très masculine ne peut qu’aider dans une carrière professionnelle.

PSL : La prise en compte de la nécessité d’une politique d’égalité des chances entre les femmes et les hommes dans les carrières scientifiques a pris de l’ampleur durant les vingt dernières années. En tant que directrice d’établissement, de laboratoire, encadrante de doctorantes et docteures, quel regard portez-vous sur ces vingt dernières années ? Les politiques menées ont-elles selon vous porté leurs fruits ?

L’ERC a mis en place une approche de sensibilisation à ce propos pour la sélection des candidats. Nous notons du progrès, pour autant, nous aimerions voir plus de femmes postuler !

Geneviève Almouzni : Promouvoir l’égalité des chances et la diversité sont définitivement des nécessités, tant elles sont de vraies richesses pour la science et pour la formation ! Les vingt dernières années ont vu de nombreux progrès, mais il faut du temps pour que les choses s’installent dans la durée et se consolident. Les efforts pour éviter les biais inconscients me semblent particulièrement importants. Qu’on soit un homme ou une femme, notre histoire et notre vécu influent sur notre prise de conscience. Il est absolument nécessaire de collectivement prendre le temps de questionner nos biais. L’ (European Research Council) a, par exemple, mis en place une approche de sensibilisation à ce propos pour la sélection des candidats. Et nous notons du progrès. Pour autant, nous aimerions voir plus de femmes postuler ! Il faut les encourager à se lancer. Plusieurs institutions européennes (comme celles faisant partie de ) ont ainsi mis en place des structures dédiées à la diversité dans la recherche (genre/ ethnies) et à l’équilibre entre le travail et la vie personnelle. Ces équipes aident les jeunes chercheurs dans leur développement de carrière et organisent pour les plus seniors des sessions de sensibilisation sur leurs biais et les méthodes pour les surmonter. Ce point est très important pour faire évoluer les procédures de sélection. Enfin, la période récente du COVID19 a fait ressortir des difficultés, et le récent atelier organisé par l’ (Laboratoire Européen de Biologie Moléculaire) à ce propos m’a beaucoup intéressée. Les témoignages montrent que dans beaucoup de cas, même s’il y a d’énormes progrès, la « charge mentale Â» n’est pas toujours bien partagée lorsqu’il s’agit de la famille et de l’organisation domestique. En tant que cheffe d’équipe, il me semble important de recruter à tous les stades de manière diversifiée.

Si on regarde les chiffres du CNRS, par exemple, en ce qui concerne le pourcentage de femmes selon le niveau de carrière, ils ont peu progressé en 20 ans.

Anne Christophe : La prise de conscience de l’existence des biais de genre par la communauté scientifique est, en effet,indéniable ces dernières années. Un certain nombre d’articles scientifiques ont démontré l’existence de ces biais, de manière indiscutable, et aussi bien chez les femmes que chez les hommes scientifiques. Une telle prise de conscience est une première étape indispensable, et j’aimerais pouvoir être certaine que cette prise de conscience a déjà été suivie d’effets concrets, malheureusement je n’en suis pas totalement convaincue. Si on regarde les chiffres du CNRS, par exemple, en ce qui concerne le pourcentage de femmes selon le niveau de carrière, ils ont peu progressé en 20 ans – et ce alors même que le CNRS s’est doté d’une ‘’, dès le tout début des années 2000.

Fabienne Casoli : Dans mon domaine, l’astrophysique, malgré une prise de conscience et des actions de formation et de sensibilisation, on ne peut pas vraiment dire que la situation des femmes se soit améliorée. Le nombre de femmes directrices de laboratoire a plutôt diminué depuis 20 ans, et la proportion de chercheuses et d’enseignantes-chercheuses a tendance à stagner voire à diminuer, malgré la sensibilisation des commissions de recrutement. Le « vivier Â» de jeunes femmes s’engageant dans des études scientifiques n’augmentant pas, cela n’a rien d’étonnant. A chaque étape des processus de recrutement qui sont de plus en plus longs et sélectifs, le nombre de femmes diminue. C’est à tous les niveaux qu’il faudrait pouvoir agir : au collège et au lycée pour engager plus de femmes dans les études scientifiques, qu’elles les amènent à être ingénieure ou chercheuse, et ensuite dans toutes les études supérieures. Il faudra suivre avec attention les effets de la réforme du baccalauréat sur les choix d’études scientifiques et en particulier du côté des jeunes femmes.

La politique d’égalité de chances mise en place au niveau des laboratoires de recherches académiques reste assez inefficace ou du moins, bien moins efficace que dans le monde de la recherche industrielle.

Annie Colin : Je suis tout à fait d’accord, la place des femmes dans la recherche, et singulièrement dans la recherche scientifique, est d’abord une question de choix de formation. Contrairement à ce qui était attendu, la disparition des écoles normales supérieures pour les filles (Sèvres, Fontenay aux Roses) a eu un effet négatif sur le nombre de femmes en recherche. Au regard de mon expérience, la politique d’égalité de chances  mise en place au niveau des laboratoires de recherche académique reste assez inefficace ou du moins, bien moins efficace que dans le monde de la recherche industrielle. J’ai passé 10 ans dans une unité mixte de recherches SOLVAY, et j’ai souvent envié mes collègues qui travaillaient pour l’industrie. Un congé parental, par exemple, représente un vrai arrêt dans le monde académique. Il suspend presque de façon certaine, sur 4 ans au moins, la prime d’encadrement doctoral et de recherches. En effet, cette prime nécessite d‘avoir des résultats constants, car l’évaluation moyenne inclut cette année souvent blanche dans la somme des  années évaluées. De même, un arrêt trop long a de grandes conséquences sur le travail de responsable d’équipe, qui est très personnalisé en recherche académique. Par comparaison, des situations similaires ont des conséquences plus mineures dans le monde industriel et ne pourront jamais empêcher une promotion. Je pense qu’il reste beaucoup à faire à ce niveau dans le monde académique. De façon aussi frappante, je trouve la différence bien plus marquée à Paris qu’en province. Point de consolation, je ne crois pas que la France soit très à la traîne par rapport aux autres pays. J’ai passé quatre mois l’an dernier sur un poste de professeure invitée à San Diego UCSD réservé aux femmes (Burbidge position). Lors du séminaire du département, nous étions en moyenne 5 femmes, dont 2 professeures Burbidge pour un auditoire de 100 personnes.

PSL : Des études récentes montrent que si la part de voix des chercheuses en sciences dures augmente (hausse du nombre de publications) elle reste encore minoritaire dans l’attribution des financements, brevets et la prise en charge de projets collectifs d’envergure1. La formation des jeunes chercheuses et chercheurs doit-elle évoluer en conséquence ? Et quelles seraient selon vous les actions prioritaires à mettre en Å“uvre ?

Si le poète a toujours raison comme le dit Aragon «  la femme est l’avenir de l’homme Â», la biologie nous le dit – pas de femmes sans hommes et pas d’hommes sans femmes …

Geneviève Almouzni : En effet, c’est un point important et je soulignais précédemment les actions menées par l’ERC pour l’aspect sélection. Elles ont été guidées par les conclusions d’un groupe de travail qui a eu pour mission d’établir un plan précis sur la période 2014 - 2020. C’est un sérieux progrès et il faut poursuivre ! Ces approches pourraient être étendues systématiquement à tout comité de sélection. Autre pas en avant potentiel, la mise en place de mesures permettant des extensions d’échéances (limite après thèse) pour des demandes de financement comme le fait l’EMBO (Organisation Européenne de Biologie Moléculaire). Enfin, les partages de congés parentaux à mieux équilibrer au bénéfice des deux parents sont des pas en avant. Néanmoins, il est vrai qu’il faut encourager plus de jeunes femmes à se lancer. Effectivement, je vous rejoins, une réflexion sur la formation elle-même est à prendre en compte. Une formation pour tous, hommes et femmes, pour valoriser la force de chacun tout en poussant les femmes à être plus audacieuses, à parler de leur travail et rédiger leur CV en se mettant en valeur. Tout cela a des conséquences sur les taux de citations par exemple… L’idée des formations complémentaires comme celles proposées par l’Oréal,  ou les accompagnements du type coaching et mentoring seraient à développer en étant à l’écoute des nouvelles générations et de leurs attentes.. Tout en gardant à l’esprit que  les mesures pratiques sur le quotidien seront certainement les plus impactantes. Enfin, l’exemple est important ! Et si les prix Nobel de Marie Curie et de sa fille Irène continuent de résonner aux oreilles des jeunes, l’actualité avec l’attribution à sera pour sûr aussi une vraie stimulation !

Enfin, pour finir, c’est très simple – si le poète a toujours raison comme le dit Aragon «  la femme est l’avenir de l’homme Â», la biologie nous le dit – pas de femmes sans hommes et pas d’hommes sans femmes …

Fabienne Casoli : Je partage votre constat, il faut encourager les femmes ! Même en tenant compte des effectifs, la part des femmes qui proposent de piloter des projets collectifs, ou prennent la responsabilité d’une proposition de recherche, par exemple à l’ERC, reste très minoritaire. Il y a sans doute plusieurs raisons à cela, l’une d’entre elles étant une certaine autocensure ; on ne peut pas non plus nier, comme vous le soulignez, que pour la plupart des femmes, le partage des tâches dans leur vie familiale n’est pas équitable et pèse sur leur activité de recherche. De ce point de vue, la société évolue très lentement, mais on voit arriver une génération de jeunes hommes qui revendique un meilleur équilibre entre vie familiale et vie professionnelle. Accompagner les jeunes chercheuses et chercheurs et les former est certainement une des pistes. On doit aussi penser à des actions du type décharge d’enseignement pour préparer des propositions. La parité est maintenant imposée pour la plupart des comités de recrutement, de sélection de projets, ou des conseils d’établissement. Il serait intéressant de faire le bilan de cette parité : d’un côté une charge accrue pour les femmes dans les disciplines où elles sont minoritaires ; d’un autre côté une prise de conscience nécessaire.

Pourquoi pas également imaginer que la limite jeune chercheur à l’ANR tienne compte du nombre d’enfant à charge, en accordant, par exemple, 6 mois supplémentaires par enfant.

Annie Colin : Pour aller dans votre sens et compléter les pistes évoquées, il serait intéressant que les évaluations scientifiques introduisent clairement la notion d’années travaillées, c’est-à-dire en sortant des indicateurs d’évaluation les périodes de congés maternité ou congé parental. Et pourquoi ne pas également imaginer que la limite jeune chercheur à l’ANR (Agence National de la Recherche) tienne compte du nombre d’enfant à charge, en accordant,  par exemple 6 mois supplémentaires par enfant  ? De même, il me semble indispensable que des critères soient mis en place au niveau des procédures de tenure track, qui vont sûrement apparaître dans les années futures. Plus généralement, je suis convaincue qu’il faudrait avoir une politique agressive au niveau du recrutement et obliger les instituts à avoir des pourcentages de recrutement homme/femme au moins égaux au pourcentage de candidatures. Les grands projets collectifs pourraient aussi être portés de façon obligatoire par un binôme homme/femme : le a d’ailleurs introduit cette notion récemment.

1. Etude Elservier mars 2020