« Mon objectif : démocratiser le recyclage textile dans l’industrie de la mode en créant de nouvelles matières à partir des déchets de l’industrie du jean »

Bianca nous décrit son expérience au sein du master Mode et matière, fruit de la collaboration entre Dauphine - PSL, MINES Paris - PSL et l'Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs (ENSAD). Animée par l'envie de faire évoluer l'industrie de la mode en créant de nouvelles matières durables, elle nous raconte ce qui l'a poussé Ã  se diriger dans cette voie et nous présente « Denimistry » son projet de fin d'études.

BIANCA

Créative, passionnée et déterminée, Bianca est étudiante-entrepreneuse du programme PSL PEPITE, et est l’une des première diplômée du master Mode et Matière de l’EnaMoma by PSL qui associe Dauphine - PSL, MINES Paris - PSL et l'Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs .
Au lycée, Bianca est créative et surtout studieuse. Elle suit un cursus scientifique, aime la mode, customiser ses habits, mais noircit plus volontiers ses pages de notes et d’équations que de dessins. Elle se sent très cartésienne et loin de l’image d’Épinal de l’artiste en devenir. Après son bac, sa santé lui impose de faire une pause.
« J’ai eu six mois de ma vie pour réfléchir. J’avais toujours customisé des vêtements, mais pour moi cela n’avait rien de concret, rien qui s’apparente à un futur métier. J’ai laissé parler ma passion, et j’ai réalisé que je ne voulais pas faire d’études scientifiques. Je me suis renseignée sur les métiers d’arts, et j’ai rejoint une école d’art appliqué ».

Bianca entre à la MANAA (Mise à niveau en Arts Appliqués) de Nice, une formation spécialement pensée pour les bacheliers qui n’ont pas suivi de formation artistique au lycée, mais qui souhaitent rattraper les notions essentielles avant de poursuivre leurs études dans cette filière. Elle découvre une ambiance d’apprentissage très différente, beaucoup plus libre et se passionne pour l’histoire de l’Art. De là, elle rejoint le BTS Design de Mode de Strasbourg, puis, deux ans plus tard, l’±«²Ô¾±±¹±ð°ù²õ¾±³Ùé de Lyon 2 pour une licence professionnelle styliste – infographiste en alternance. Elle travaille en tant qu’assistante-styliste – alternante au sein d’une petite marque de prêt-à-porter et découvre le métier sous ses différentes facettes.
« Une large partie de mon activité consistait à échanger avec nos fabricants en Inde. J’ai été frappée par le rapport de force qui s’était installé entre eux et nous. Nous étions contraints de leur demander beaucoup, dans des délais toujours plus courts, à des prix toujours plus bas et pour finalement, n’être que rarement satisfaits du résultat ! Cette expérience m’a confronté à la réalité des entreprises de la mode. Malgré une proposition d’embauche, j’ai donc décidé de poursuivre mes études dans la mode éco-responsable afin de faire bouger les lignes. Une amie m’a parlé du master Mode et matière. J’ai postulé, et après Nice, Strasbourg, Lyon, j’ai rejoint Paris ! »

L’Ecole Nationale de Mode et Matière - EnaMoma by PSL est alors un tout nouveau diplôme qui a pour objectif d’accompagner la transition écologique, sociale et technologique du monde de la mode et des matières. Bianca, forte de son expérience dans le prêt à porter se renseigne sur la mode éco-responsable, et se passionne pour l’aventure du fondateur de Patagonia, Yves Chouinard.
« Le succès de cette marque démontre qu’il est tout à fait possible d’avoir un business model viable et responsable dans le monde du vêtement ».

Il est tout à fait possible d'avoir un business model viable et responsable dans le monde du vêtement.

Très inspirée elle rejoint la deuxième promotion du master.
« Cela a été deux années extrêmement enrichissantes ! Je n’avais aucune attente précise, je n’avais jusqu’alors jamais eu de cours sur la mode eco-responsable, c’était une découverte. La formation nous laissait également beaucoup de liberté pour créer, expérimenter...  On avait accès aux ateliers de l’EnsAD, aux machines du fablab de Mines Paris (imprimantes 3D, découpe laser…) C’est idéal, cela nous permet de mettre en volume nos créations, de travailler les petits détails… Et pour couronner le tout, les cours de Dauphine sur l’industrie de la mode nous permettaient vraiment de poser les bases de nos projets professionnels. Deux années intenses ! »

On avait accès aux ateliers de l’EnsAD, aux machines du fablab de Mines Paris (imprimantes 3D, découpe laser…)

Taiwan, Corée, Chine, Canada, France… les onze étudiantes et étudiants de la deuxième promotion du master viennent des quatre coins du monde. Si tous partagent une préoccupation commune sur l’avenir de la mode et l’application de la transition énergétique, chacune et chacun arrive avec son approche et son expérience. Certains attachent de l’importance à la coupe du vêtement, d’autres privilégient la matière… les échanges sont fréquents et viennent nourrir les réflexions. Bianca se lance en décembre 2019 dans « Denimistry » son projet de fin d’étude.
« Je me suis intéressée à l’industrie du jean et j’ai souhaité créer de nouvelles matières textiles à partir des déchets qu’elle génère. Il s’agissait non pas de récupérer les chutes telles qu’elles, mais de les retravailler complètement pour en faire un nouveau produit. J’ai commencé par exemple à broyer le jean pour en récupérer les fibres… il me fallait un liant, et après beaucoup de recherches, j’ai trouvé une recette naturelle de liant que j’ai pu fabriquer moi-même: le bioplastique. En revanche, mon projet a vraiment décollé quand j’ai pu collaborer avec un ingénieur de l’École nationale supérieure des arts et industries textiles (ENSAIT) de Roubaix, Philippe Vroman. En effet, Philippe m’a ouverte à d’autres techniques dites de « non-tissés », toujours dans le but de créer de nouvelles matières à partir de fibres broyées/effilochées. Les non-tissés sont des textiles obtenus par différents procédés mécaniques industriels permettant l’enchevêtrement des fibres les unes entre elles, afin de former une nappe de fibres qui deviendra une étoffe. En résumé, cette collaboration m’a permis d’apporter une dimension industrielle et donc de reproductibilité à ce projet, qui jusqu'à l'or restait très artisanal.
Denimistry, c’est l’association du « denim » et de la chemistry (chimie) « istry ». Je ne cherche pas à faire de l’upcycling, qui consister à transformer le vêtement pour lui donner une seconde vie mais bel et bien à transformer la matière première ».

Pour réussir Bianca s’inspire de la démarche scientifique, elle tient à jour un carnet de laboratoires décrivant ses différentes expériences et perfectionne ses connaissances acquises au lycée (mathématiques, chimie, physique…). De son bac S, à sa soutenance avec mention très bien en septembre 2020, son parcours pluridisciplinaire prend toute sa dimension. Bianca remporte le 1er prix de l’appel à projets 2020 de Wise Women, un cercle de femmes engagées dans la création et la culture, et se lance dans l’aventure entrepreneuriale avec le programme d’entrepreneuriat étudiant PSL Pépite. Son défi pour les années à venir ?  Transposer son procédé à l’échelle de l’industrie.
« J’ai la conviction que les procédés que j’ai utilisés pourraient contribuer à démocratiser le recyclage dans la mode. Je veux créer la matière, prouver sa résistance, voir si cela suscite l’intérêt des marques et la produire à l’échelle industrielle ». Un challenge de taille ! Et, pour le relever, Bianca bénéficie actuellement de l’aide de l’EnsAD et du programme PSL – Pépite.

La plupart des prototypes de sa collection de diplôme sont en ce moment exposés à la Cité des Sciences et de l’industrie et ce jusqu’au 22 janvier 2022, à l’occasion de l’exposition immersive « Jean ». Cette exposition invite à plonger dans le monde industriel et technique de la fabrication du jean ainsi qu'à réfléchir à ses conditions de production.