²ÝÁñÂÛ̳

Interview de :

• Corinne Robert, chercheuse à l’INRAE et professeure attachée au CERES de l’ENS – PSL
• Daniel Herrea - Araujo, professeur d’économie à Mines Paris – PSL

Comment est née l'idée de ce grand programme de recherche ?

Daniel Herrea -Araujo (Mines Paris – PSL) : TERRAE est née d’un constat clair : nos institutions possèdent une expertise forte et diversifiée sur les enjeux de transition écologique et sociale, mais ces recherches restent souvent cloisonnées. 
L’objectif de TERRAE est donc de rassembler ces forces à travers un cadre interdisciplinaire afin de répondre aux grandes questions de la transition climatique et de devenir une référence sur le sujet. 
TERRAE vise ainsi à dépasser la fragmentation disciplinaire et à proposer des solutions innovantes et adaptées aux défis du changement global. En réunissant des chercheurs de premier plan et en favorisant les synergies entre géosciences, sciences du vivant et sciences humaines et sociales, nous ambitionnons de produire des réponses concrètes et applicables pour une transition efficace et résiliente.

Corinne Robert (ENS – PSL) : En effet, à l’échelle de l’±«²Ô¾±±¹±ð°ù²õ¾±³Ùé PSL il existe déjà une recherche de qualité autour de certaines problématiques environnementales ou sociales, mais ce que nous avons voulu promouvoir avec TERRAE est une recherche interdisciplinaire qui transcende les frontières disciplinaires et surtout une recherche transdisciplinaire qui se construit avec les acteurs non académiques. Nous voulons nous ancrer avec les acteurs des territoires dans des trajectoires de changement. Cette volonté autour de la recherche transdisciplinaire a été réalisée en parallèle avec le développement du nouveau master en Science de la durabilité qui a ouvert ses portes en septembre 2024. 

Quels sont les principaux enjeux scientifiques et sociétaux de ce programme ?

Corinne Robert (ENS – PSL) : Les enjeux auxquels nous voulons faire face sont les transformations écologiques et sociales nécessaires face aux crises environnementales que nous traversons. TERRAE vise à consolider, amplifier et structurer la recherche à PSL pour la construction de trajectoires de transition sociale et écologique. Notre défi est de nous appuyer sur tous les secteurs de recherche au sein de PSL. 

Daniel Herrea - Araujo (Mines Paris – PSL) : L’±«²Ô¾±±¹±ð°ù²õ¾±³Ùé PSL accueille des recherches à fort impact, cependant il manque actuellement un cadre structuré permettant de favoriser la collaboration entre les groupes de recherche inter etablisement. TERRAE vise à combler cette lacune en renforçant la coordination (Objectif #1) et en soutenant des recherches ayant un fort impact sur la société et la biodiversité (Objectif #2).
Sur le plan scientifique, TERRAE promeut une approche systémique des transitions, en intégrant l'expertise de diverses disciplines pour aborder la complexité des transformations environnementales et sociétales. En s'appuyant sur les forces de PSL en matière de recherche axée sur les processus environnementaux, le changement global et les solutions de transition, TERRAE facilitera des projets interdisciplinaires et transdisciplinaires. Ces projets, qualifiés de risqués mais à fort potentiel, permettront de faire progresser la recherche sur les trajectoires de transition.
D'un point de vue sociétal, TERRAE cherche a accélérer la mise en Å“uvre des stratégies de transition en encourageant la collaboration entre les chercheurs et les acteurs de la transition. Cela permet de garantir que la recherche ne soit pas seulement théoriquement solide, mais aussi applicable. De plus, en intégrant des programmes de formation, tels que le futur master en Science de la Durabilité, TERRAE contribuera à former la prochaine génération d'experts capables de naviguer dans la complexité du changement global. 

La recherche-action et la transdisciplinarité sont au cœur de ce programme. Pourquoi ce choix et comment ces démarches vont-elles se mettre en œuvre ?

Corinne Robert (ENS – PSL) : L’objectif de TERRAE est d'encourager une recherche à fort impact et participant aux transitions. Pour obtenir un impact significatif, il faut une compréhension systémique globale des défis de la transition, étant donné les interactions complexes entre les systèmes sociétaux, naturels et physiques. Cette approche permet d'éviter les solutions partielles susceptibles d'entraîner des conséquences imprévues sur d’autres secteurs.

Une vision systémique nécessite de comprendre les contraintes, les interactions et les boucles de rétroaction entre les composantes du système. La prise en compte du temps est également cruciale, car la transition doit être considérée comme une trajectoire dynamique sensible par exemple à des points de basculement et aux conditions initiales. Il s’agit alors d’étudier les trajectoires plutôt que les « états finaux ». L'interdisciplinarité et la transdisciplinarité sont essentielles pour cette recherche. La mobilisation de disciplines variées est nécessaire pour développer une vision systémique des enjeux, des problèmes et des solutions. De plus, au-delà des disciplines, la transdisciplinarité est particulièrement importante, car un engagement et un dialogue soutenus avec les acteurs de la transition augmentent la probabilité que la recherche ait un impact important. Les acteurs seront source des questions posées, des savoirs construits, ainsi que de la mise en œuvre et de la diffusion des solutions. Cette recherche action, développée au cœur des territoires, aura des visées transformatives à différents niveaux. Ainsi les trois mots clés qui caractérisent les projets de TERRAE sont : « trajectoire », « interdisciplinaire », « transdisciplinaire ».

Pour donner des exemples, nous pouvons illustrer avec les deux premiers projets HotSpot de TERRAE qui vont démarrer au début 2025. L’un d’entre eux porte sur la transition agroécologique des territoires (porté par Corinne Robert et Marc Fleurbaey). Le contexte est clair : malgré un consensus sur les effets néfastes des pesticides et plusieurs initiatives comme les plans "Écophyto" mis en place depuis une vingtaine d’années, la transition agroécologique reste très lente. Il est clair désormais qu’une réduction significative des pesticides nécessite une transformation profonde adaptée à chaque territoire et engageant la diversité des acteurs du monde agricole. Dans ce projet, nous proposons de co-construire des trajectoires de transition agroécologique avec différents acteurs des territoires en mobilisant un travail sur les représentations des acteurs de la transition et des pratiques phytosanitaires. Pour cela le projet vise à construire et à mener des ateliers participatifs avec une diversité d’acteurs et les collectivités territoriales. La construction et le déroulement des ateliers permettront réflexion et échanges. L’intégration des résultats dans les stratégies locales des collectivités favorisera une mise en action dans la continuité. 
L’autre hotspot (porté par Freddy Bouchet) porte sur les sécheresses météorologiques, hydrologiques, agricoles, socio-économiques et écologiques qui s'aggravent sous l'effet du changement climatique et des activités humaines. Étroitement liées à d'autres événements climatiques extrêmes comme les vagues de chaleur et les méga-incendies, elles perturbent l'ensemble de la chaîne de l'eau, l'agriculture, l'alimentation et la production d'énergie. Ces crises, systémiques, impactent profondément les territoires et accentuent les tensions sociales, notamment autour de la gestion des ressources en eau. Trouver des solutions de transition compatibles avec l'atténuation du changement climatique devient alors une priorité. Ce défi concerne autant les populations humaines que l’ensemble des écosystèmes.
 

Quels sont les principaux axes de recherche et équipes impliquées ?
Comment vont-elles collaborer pour atteindre les objectifs du programme ?

Corinne Robert (ENS – PSL) Les cinq institutions qui soutiennent TERRAE, avec une communauté de plus de 150 chercheurs, offrent une plateforme pour relever les défis urgents du changement climatique, de la perte de biodiversité et des questions sociales connexes. Plus précisément, compte tenu de la nécessité d'une approche systémique des transitions et d'une mise en Å“uvre rapide des stratégies de transition, TERRAE porte deux objectifs complémentaires et coordonnés :  

• Le premier est de construire une culture commune autour de la transdisciplinarité à l’échelle de la communauté de PSL. Pour cela, TERRAE organisera régulièrement des événements scientifiques pour ses chercheurs. Au-delà de séminaires destinés à favoriser la compréhension mutuelle des travaux de chacun, nous développerons des animations scientifiques variées et originales afin de travailler sur les verrous et les leviers de la recherche transdisciplinaire et d’en partager les objectifs. Les projets portés par TERRAE seront également présentés et discutés. Au moins deux événements par an seront organisés. Ces conférences peuvent être organisées autour de thèmes tels que des thèmes transversaux, comme « de la recherche fondamentale à la recherche-action » ou « les temporalités dans l'action et la recherche ». Des séminaires avec des acteurs de la transition seront également organisés.
• Le deuxième objectif est de développer des recherches à fort impact sur la société et l'environnement, afin de participer à la transition sociale et écologique. Pour cela TERRAE portera des projets abordant différents défis de transition, impliquant divers domaines scientifiques et développés en collaboration avec les acteurs concernés. Pour aboutir TERRAE portera des projets deux types :  (i) des projets de grande envergure : « Transition Hotspot », axés sur des objets de transition spécifiques et leurs trajectoires. Les deux premiers hotspots, sont lancés au début de l'année 2025, se concentrent sur les sécheresses (Freddy Bouchet) et la transition agroécologique (Corinne Robert et Marc Fleurbaey) ; (ii) des projets « Eclaireurs », de plus petite taille, qui ouvrent la voie à de nouvelles initiatives seront développés tout au long de TERRAE.

Notre objectif est de coordonner ces deux objectifs par des séminaires croisés liant animation scientifique globale et développement des projets de recherche transdisciplinaire.  Cela permettra de lier certains travaux développés dans les différents projets avec une analyse transversale par exemple sur les méthodes.
 

Quels sont les principaux jalons à venir en 2025 ?

Corinne Robert (ENS – PSL) : En 2025, plusieurs jalons s’ouvrent à nous !
A commencer par, notre événement de lancement le 10 mars. Nous y présenterons le grand programme, puis nous aurons une session sur la recherche transdisciplinaire avec des récits inspirants, avant de nous retrouver pour un atelier de cartographie interactive avant de clôturer l'événement par un cocktail.
En termes de développement des recherches, le démarrage des deux premiers HotSpot TERRAE sur la sécheresse et la transition agroécologique va permettre de lancer deux projets transdisciplinaires d’envergure. 
Nous venons également de lancer le premier appel à projet « Eclaireurs uno ». Il s'agit d'un appel à propositions de recherche transdisciplinaire sur la conception et la mise en œuvre de voies de transition sociale et écologique pour faire avancer les objectifs du programme TERRAE. Les projets sélectionnés recevront jusqu'à 150 000 euros. Une proposition de projet TERRAE « Eclaireur » doit être dirigée par trois acteurs principaux : deux membres académiques affiliés à PSL représentant deux disciplines distinctes, et un acteur non académique qui sera étroitement impliquée dans la conception et la mise en œuvre du projet. Les projets doivent être déposé pour le 28 avril 2025 et ils commenceront à l’automne 2025.

En termes d’animation scientifique, nous avons prévu deux ateliers en 2025 avec notre partenaire Inclusive Innovation qui va nous accompagner tout du long de TERRAE. Au printemps, il s’agit d’un « forum d’émergence » pour la communauté TERRAE et des acteurs non académiques. Son objectif principal sera d’explorer ensemble un large éventail de thématiques potentielles pour le développement de futures animations ou projets.  L’idée est d’aboutir à une vision claire des thématiques et des questions qui traversent la communauté et du paysage potentiel de recherche transdisciplinaire de TERRAE. Dans la continuité de ce forum d’émergence, un atelier de cadrage des hotspots sera organisé à l’automne avec pour objectif d’approfondir et de structurer les idées fortes identifiées.

Pour en savoir plus sur le grand programme TERRAE :