Entre physique, design et architecture : à la Biennale du design de Londres, des étudiants de PSL plongés dans un workshop inédit du réseau international Automorph
Des étudiantes et étudiants de l’̳ ont traversé la Manche les 5 et 6 juin derniers dans le cadre d’un workshop inédit en lien avec la Biennale du design de Londres. Toutes et tous avaient répondu à l’appel lancé par le réseau Automorph pour participer à la conférence-atelier interdisciplinaire Creative differences: Self-Morphing through Physics, Design and Architecture. À bord de ce projet interdisciplinaire : Lingxiao Luo, doctorante à l’EnsadLab, Luisa Olivera, en 4e année à l'ENSAD, Malory Mohamed et Eric Dubois, tous deux étudiants en licence d'architecture à l'ENSA Paris Malaquais ainsi qu'Anahita Mirani, doctorante en 2e année d'architecture à Mines Paris - PSL. Avec Benoît Roman, enseignant à l’ESPCI Paris - PSL et porteur de ce projet, ils reviennent sur leur participation à cette aventure d’envergure internationale.
De la protection de l'environnement aux avancées de l'intelligence artificielle, la 4e édition de la Biennale de Design de Londres, qui s’est déroulée en juin dernier, a mis en avant les bénéfices d’une étroite collaboration protéiforme pour répondre aux grands défis contemporains. Parmi les nombreux projets interrogeant cette thématique, la conférence-atelier Creative Differences : Self-Morphing through Physics, Design, Architecture, organisée par , un réseau international interdisciplinaire et à laquelle ont participé cinq étudiantes et étudiants de PSL. L’objectif ? Présenter les avancées récentes dans divers domaines (architecture, physique, informatique, design, biologie...) impliquant des matériaux et des objets à forme changeante, mais aussi favoriser la discussion entre les disciplines et créer une communauté interdisciplinaire connectée travaillant sur l'automorphisme.
Ce workshop s’inscrit dans la continuité de l'exposition organisée par Automorph à la Biennale de Design de Londres, qui présente une nouvelle façon de concevoir des objets : au lieu d’assembler des matériaux passivés, il s’agit de programmer les forces internes pour que les matériaux prennent par eux-mêmes la forme désirée, mimant la morphogenèse du vivant. Dans cette exposition, les visiteurs ont pu notamment contempler le projet Adaptive Beauty, composé de structures actives élégantes et bio-inspirées, développées notamment grâce à la Chaire Beauté·s de PSL. « Il s’agit d’un travail entre notre laboratoire Physique et mécanique des milieux Hétérogènes () et l’Institute for Computational Design de l’Université de Stuttgart qui utilise l’impression 3D pour obtenir des structures dont on peut programmer le changement de forme en fonction de l’humidité », précise Benoît Roman, enseignant en mécanique des solides à l’ESPCI Paris - PSL et à l’initiative du workshop Creative Differences.
Les matériaux automorphes : une révolution pour le design et l’architecture
Lorsqu'on leur demande de définir un "matériau automorphe", les cinq étudiants PSL du workshop Creative Differences sont unanimes : un matériau capable de subir un changement de forme sans avoir besoin de forces externes. Le matériau change ses propriétés de manière autonome, en tenant compte des facteurs du milieu dans lequel il se trouve (comme la chaleur, l'humidité, la lumière, la pression…). « Prenons l’exemple d’un château gonflable qui, en ajoutant de l’air à l’intérieur, passe d’un état dégonflé à un état gonflé », illustre Eric Dubois, en licence d'architecture à l'ENSA Paris Malaquais.
Tout l’enjeu de l'atelier-conférence Creative Differences auquel ils ont été conviés réside dans cette définition. « Que peut-on imaginer faire avec de tels matériaux ? C'est une question à laquelle les physiciens ne sont pas bien armés, contrairement aux designers ou architectes. D’où l’idée d’un travail interdisciplinaire, initié par le réseau Automorph », explique Benoît Roman. Le scientifique insiste également sur l’occasion de mettre à portée de tous une recherche interdisciplinaire de pointe, aux nombreuses applications : « notre participation à ce workshop et l'exposition de certains de nos travaux à la Biennale du Design de Londres permet de montrer au "grand public" des retombées concrètes ».
Devant les multiples applications possibles des matériaux automorphes, étudiants et enseignant ont été amenés pendant le workshop à mettre en résonance leur spécialité - qu’il s’agisse d’architecture durable, de physique des solides ou de design textile - avec d’autres pour se questionner sur des problématiques globales, à l’échelle des grands enjeux environnementaux d’aujourd’hui. « Ne pourrait-on pas économiser l’étape de la mise en forme et produire des structures architecturales à géométrie contrôlée de façon plus durable ? », s'interroge Benoît Roman. « Nous dépensons beaucoup d’énergie - et de CO2 - pour donner à nos matériaux des formes voulues en utilisant des forces extérieures ou en construisant des moules qui sont souvent à usage unique en architecture », ajoute le chercheur.
Une chance d’élargir ses connaissances
La conférence-atelier Creative Differences: Self-Morphing through Physics, Design, and Architecture d’Automorph, a ainsi donné aux étudiantes et étudiants l’occasion d’imaginer des applications et des usages de l’automorphisme pour la ville durable, thématique au cœur du partenariat entre l’̳ et de l’University College of London (UCL).
Au-delà d'approfondir leurs connaissances en lien direct avec leurs aspirations professionnelles, les participants ont eu l’opportunité d’échanger avec des experts renommés et d’établir de précieuses connexions.
Luisa Olivera, étudiante en design l'ENSAD, a par exemple pu partager ses réflexions autour de nouvelles pistes de conception et de création de vêtements et d'accessoires, incorporant ce type de matériaux. « Ces méthodes pourraient être plus efficaces tout en générant moins de gaspillage que nos moyens de fabrications actuels, et les vêtements plus interactifs avec le corps de l’usager », indique-t-elle. Quant à Lingxiao Luo, doctorante en design textile à l’EnsadLab, elle a eu l’opportunité d’échanger avec des experts en physique, design et architecture sur le développement de solutions textiles innovantes et durables. Étudiant en architecture, Eric Dubois, qui préfère travailler à partir d’espaces déjà existants plutôt que de partir d’une feuille blanche, a été enthousiasmé par le workshop : « je suis passionné par les projets architecturaux qui s'adaptent à divers usages en transformant l'espace programmé. C’est grâce à ce type d’approche collaborative, pragmatique et expérimentale, que nous pouvons trouver de nouvelles solutions pour répondre aux grands enjeux contemporains. »
« Grâce à ce type d’approche collaborative, pragmatique et expérimentale, nous pouvons trouver de nouvelles solutions pour répondre aux grands enjeux contemporains. » - Eric Dubois, étudiant en licence d'architecture à l'ENSA Paris Malaquais.
Pour Anahita Mirani, doctorante en architecture à Mines Paris - PSL, prendre en compte la transition écologique dans la construction est aujourd’hui indispensable. L’automorphogénèse lui ouvre un véritable champ des possibles : « Cette conférence m'a offert l’occasion d'explorer les possibilités de l’automorphogénèse, où les principes de la physique, du design et de l'architecture se rejoignent. J’ai désormais de nouvelles pistes pour contribuer activement au développement de solutions architecturales durables, orientées vers l’avenir ».
S’enrichir mutuellement
« L'événement a été une occasion fantastique de collaboration interdisciplinaire et d'échange de connaissances », témoigne Lingxiao. « Dimanche, nous avons pu accéder à la Biennale entière grâce à PSL. J’ai été marquée par la scénographie sensible et intuitive de l’exposition d’Automorph », se rappelle de son côté Malory Mohamed, étudiante en architecture à l’ENSAD.
Le premier jour du séjour des étudiants a été rythmé par une série de conférences de chercheurs et doctorants, qui ont exposé leurs projets sur le thème de l’auto-morphing. Une méthode de travail commune à tous les intervenants, pour observer la nature et analyser ses comportements afin de les reproduire à travers des champs disciplinaires variés, comme la physique, les mathématiques, la conception, l’industrie textile, le mobilier… « J'ai particulièrement été marquée par la présentation de l’ingénieur , qui a partagé ses pratiques réelles à grande échelle d'automorphogenèse en architecture », témoigne Anahita.
Le jour suivant avait lieu le workshop Creative Differences. Répartis en équipe dans trois ateliers différents, les étudiantes et étudiants ont travaillé avec le matériau automorphe de leur choix : plantes, surfaces courbées ou formes gonflables en 2D. Chaque matériau change au contact de l’air, de la chaleur ou de l’eau. Une expérience « unique » pour chaque étudiant.
Malory, stimulée par l’interdisciplinarité de ce travail d'équipe, raconte : « nous avons pensé la découpe selon une logique mathématique qu’un des chercheurs nous a enseignée pour que le matériau prenne ensuite forme seul. J'ai ensuite travaillé avec deux étudiants en ingénierie. Grâce à nos différentes approches, nous avons pu aboutir à notre prototype ». Eric, aspirant LEGO® designer, a pour sa part choisi le groupe consacré aux plantes : « nous devions réfléchir à l’utilisation potentielle de feuilles de bois lamellé-collé qui se détendent au contact de l'eau chaude et reprennent leur état original une fois séchées. J'ai finalement conçu un panier pour y mettre des pâtes. Sur une casserole, il s'ouvre lorsque l'eau commence à bouillir. Les pâtes tombent dans l’eau et commencent leur cuisson au bon moment, sans qu'il y ait besoin d’intervenir ».
En tant qu'enseignant et chercheur, Benoît Roman est tout aussi enthousiaste sur les bénéfices de cet atelier, qui lui a ouvert de nouvelles perspectives : « nous avons cherché à rendre ces matériaux automorphes plus robustes, à contrôler leur aspect, à les actionner de façon plus visible. Mais nous avons aussi beaucoup appris du processus créatif exigeant de nos collègues designers et architectes, et de leur travail précis de mise en valeur qui vise à toucher le public et éveiller sa curiosité avant de proposer une explication physique ».
« Nous avons beaucoup appris du processus créatif exigeant de nos collègues designers et architectes, et de leur travail précis de mise en valeur qui vise à toucher le public et éveiller sa curiosité avant de proposer une explication physique » - Benoît Roman, enseignant en mécanique des solides à l’ESPCI Paris - PSL
L’interdisciplinarité : penser au-delà des limites
Pour les étudiants et le chercheur, la conclusion principale de cet atelier est similaire à la réflexion menée par la Biennale de Design de Londres : à diverses échelles, les bénéfices d’une collaboration interdisciplinaire sont nombreux. « L'approche interdisciplinaire nourrit ma capacité à penser de manière critique, favorise la créativité et me prépare à relever des défis à multiples facettes dans ma future carrière professionnelle. Elle m'encourage à penser au-delà des limites de mon domaine », estime Lingxiao. « Rencontrer des modes de conception propres à d’autres disciplines m’aide à questionner les modes de fonctionnement de ma propre industrie », ajoute Luisa. Les étudiants, inspirés par les scientifiques et les autres participants, ont été poussés à remettre constamment en question leurs connaissances.
« Rencontrer des modes de conception propres à d’autres disciplines m’aide à questionner les modes de fonctionnement de ma propre industrie » - Luisa Olivera, étudiante en 4e année à l'ENSAD
« En intégrant ces différentes perspectives, je suis en mesure d'explorer de nouvelles voies de recherche pour ma thèse. Cette collaboration favorise un échange fructueux d'idées, me permettant de développer des solutions plus complètes et innovantes face aux défis complexes auxquels est confrontée l’architecture », témoigne Anahita. Au-delà de l’architecture, l’approche interdisciplinaire, au cœur de l’ensemble des activités de l’̳, semble également combler le fossé entre science, design ou encore industrie. « L’interdisciplinarité revêt une grande importance dans chaque profession, en particulier dans la création. Le piège fatal survient lorsque nous nous enfermons dans notre propre bulle », conclut Éric.
Des matériaux automorphes pour la ville de demain
« Lors de l’atelier, j’ai été étonnée de voir à quel point les matériaux qui s'automorphosent peuvent avoir un impact significatif sur la conception d'un futur environnement durable », explique Lingxiao. L'intégration de matériaux auto-morphing dans la ville de demain pose des enjeux pour le développement de solutions respectueuses de l’environnement. Plus qu’une conférence, cette aventure semble être une ouverture pour bâtir un autre avenir.
« Lors de l’atelier Creative Differences, j’ai été étonnée de voir à quel point les matériaux qui s'automorphosent peuvent avoir un impact significatif sur la conception d'un futur environnement durable » - Lingxiao Luo, doctorante à l’EnsadLab
D’autres enjeux des matériaux automorphes sont liés à leur utilisation dans la construction, responsable de 39% des émissions de CO2 mondiales : « l'un des principaux défis est de développer les techniques de l'échelle expérimentale dans des projets architecturaux à grande échelle », explique Anahita. « Une fois maîtrisée, cette technologie pourrait révolutionner la préfabrication et faire gagner du temps. On pourrait programmer les composants pour qu'ils se transforment automatiquement sur le chantier », estime Éric. Ces idées qui animent les étudiants pourraient faciliter le transport, réduire la consommation énergétique et les déchets liés à la construction, tout en prolongeant la durée de vie des bâtiments. « En plus des solutions de fabrication, ces matériaux peuvent se concevoir pour exécuter des actions précises qui servent à un usage final. Par exemple, adapter l’intérieur en fonction des changements d’environnement », ajoute Luisa. Mais proposer des changements à long terme, c’est se heurter à des complications. « Leurs propriétés supposent un rôle effectivement plus durable, qui induit un retard plus important à l’entrée dans la législation », explique Malory.
« Durabilité » : un mot qui résonne au sein de la Biennale. « Le partenariat entre PSL et UCL offre une excellente plateforme pour relever ces défis et favoriser la collaboration entre chercheurs, designers et urbanistes ; l’objectif : créer les villes du futur qui privilégient la durabilité et l'innovation dans les technologies d'auto-morphing », souligne Lingxiao. « Ensemble, ces institutions peuvent contribuer au développement de nouvelles méthodes de conception, favorisant une approche plus durable et adaptative de la planification urbaine », conclut Anahita.
A propos
- Benoît Roman est chercheur CNRS au laboratoire physique et mécanique des milieux hétérogènes (PMMH) de l’ESPCI Paris-PSL. Enseignant dans la mécanique des solides à l’ESPCI, mais aussi à l’école polytechnique, ses domaines de prédilections sont la déchirure, les instabilités et le plissement des feuilles minces. Plus récemment, il s’est intéressé aux possibilités de programmer des changements de forme dans des matériaux architecturés.
- Anahita Mirani est en 2e année de doctorat en Architecture à Mines Paris - PSL et au laboratoire GSA à l’ENSA Paris-Malaquais. Diplômée d’un double cursus architecte-ingénieur et d’un master en Architecture spécialité Énergie 2020 en Iran, puis un master en Urbanisme et aménagement à l'école d'Urbanisme de Paris en 2022, elle développe un intérêt pour les concepts de biomimétisme. Son intérêt pour la transition écologique dans le domaine de la construction l’a conduit à entreprendre une thèse sur la réinterprétation et la revalorisation de la pierre comme matériau pour les enveloppes massives à faible impact environnemental.
- Originaire de Chine, Lingxiao Luo s’intéresse au fashion design et à l’innovation technique. Doctorante à l’EnsadLab et membre du Marie Skłodowska-Curie Actions Doctoral Network SOFTWEAR, ses recherches portent sur l’intégration d’actionneurs souples dans les textiles. Elle aspire à contribuer au développement de matériaux durables et interactifs.
- Luisa Olivera est en quatrième année à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, dans la filière de design vêtements. Avant ses études, elle a obtenu un bachelor en modélisme à l’IFM (Institut Français de la Mode).
- Malory Mohamed est étudiante titulaire d’une licence en architecture à l’ENSA Paris Malaquais. Elle intégrera à la rentrée 2023 le double diplôme à l’UniNa (Université de Naples) afin de compléter son cursus.
- Passant sa scolarité à Taiwan en section française, puis un BAC scientifique spécialité maths en 2017, Eric Dubois intègre l’ENSA Paris Malaquais dans la filière Architecture. Il aspire à devenir Lego designer au Danemark, ou exercer tout autre métier lié au LEGO (artiste, éducateur, chercheur), ou même professeur de piano !